Sciences de la Vie

Quand le temps s’accélère

Les innovations ont souvent lieu là où les moyens manquent. Le médecin kenyan Marlene Okoth recherche quelles seront les implications futures de l’IA sur la médecine – en Afrique.

A propos l'auteur : Dr. Marlene Okoth is a general practitioner based at Kenya’s Nakuru Level 6 County Hospital, northwest of Nairobi. She shares her passion for science through her medical writing.

Il est bien connu que les services pédiatriques sont imprévisibles.

Prenons l’exemple d’un mardi matin il y a peu, au service du niveau 6 de l’Hôpital du comté de Nakuru dans lequel je travaille comme médecin généraliste. Nous venions de finir notre tournée quotidienne du service et d’examiner près de quarante enfants malades âgés d’un mois à deux ans. Tous présentaient un état stable et étaient en voie de guérison. Les pédiatres consultants venaient de quitter le service pour se rendre à leur clinique de jour tandis que les internes, les infirmières et moi-même poursuivions notre travail de la journée dans le service. Tout d’un coup, les ambulanciers font irruption avec deux bébés.

C’est dans une telle situation, à laquelle un grand nombre de mes prédécesseurs ont été confrontés et que rencontreront inévitablement les futurs médecins, que nous nous rendons compte du progrès considérable de la technologie médicale. Elle nous permet également d’imaginer l’avenir et comment le passage au numérique et l’intelligence artificielle peuvent transformer les hôpitaux.

Les ambulanciers installent précipitamment les bébés sur les deux derniers lits de réanimation disponibles de mon service. J’entoure la tête de l’un des nouveaux patients d’une main et de l’autre main, je positionne un tuyau d’oxygène sous son nez. Je lui prends le pouls au poignet. Il est faible. Je relève la tête, mais plusieurs collègues étaient alors tête baissée sur leurs téléphones.

Ils n’étaient pas en train de s’amuser, mais de procéder au triage de ces patients. Tous les médecins du service pédiatrique du niveau 6 de l’Hôpital de Nakuru possèdent une application appelée Kenya Paediatrics Protocols sur laquelle ils peuvent compter pour gagner du temps dans des moments comme celui-ci où l’évaluation est cruciale. Cette application est d’une telle utilité que je parierais que vous trouveriez des médecins qui l’utilisent dans tous les services pédiatriques du Kenya. 

L’enfant dont je m’occupe a neuf mois. Il a les mains et les pieds froids et ne réagit presque plus à la douleur après plusieurs épisodes de diarrhée ayant commencé la veille. Nous lui diagnostiquons une gastroentérite avec choc hypovolémique. En entrant son poids, 12 kg, dans l’application, nous calculons la quantité de liquide à lui donner par perfusion intraveineuse.

Le deuxième enfant est plus âgé, il a 15 mois, mais moins de la moitié du poids de l’autre garçonnet. Il a un ventre proéminent, le haut des bras très maigre, des cheveux bruns décolorés et un ulcère au coin de la bouche – le tableau classique d’une malnutrition sévère aiguë. L’application permet d’obtenir le schéma thérapeutique en dix points recommandé en cas de malnutrition. En entrant le poids et l’âge de l’enfant, nous calculons le dosage d’antibiotique recommandé.

« Chaque mois que vous attendez pour passer au numérique, c’est au moins deux mois de retard que vous prenez avant d’en voir les bénéfices »

Jani Pretorius Data scientist chez Mediclinic.

Cette application est une version numérique de l’ancien livre de poche de notre association, mais dotée d’une calculatrice intégrée et fonctionnant sans connexion Internet. Elle remplace également les calculatrices ; cependant, certains collègues âgés continuent de porter sur eux une calculatrice dans la poche de leur blouse blanche. L’application fait gagner du temps en donnant un accès intuitif aux médicaments et en facilitant le calcul des dosages. Avec le temps, vous pourrez deviner vous-même la plupart des informations qu’elle fournit. Mais pour les jeunes médecins en formation, sa valeur est inestimable. Elle ne recourt pas – encore – à l’IA, mais permet de comprendre le potentiel des outils numériques à venir.

Toutefois, dans notre situation, il s’agit surtout de rompre avec les méthodes du passé. Pour ces deux garçonnets, les événements du jour ont été enregistrés sur papier dans un dossier patient physique, lui-même stocké sur l’une des centaines d’étagères débordantes du département des archives de l’hôpital de Nakuru, qui ressemble à une bibliothèque. Le concept du classement des dossiers médicaux sur papier remonte au 18e siècle, mais nous savons que l’avenir est aux dossiers électroniques. Mais chacun va à son rythme pour y parvenir.  

Il y a un an, j’étais interne à l’hôpital méthodiste Maua, un hôpital missionnaire à sept heures de voiture au nord-est de Nairobi, ma ville natale. Nous étions six à commencer le même jour, enthousiastes à l’idée de traiter des patients dès notre arrivée. Mais à la place, on nous intime de suivre d’abord une formation informatique. Nous échangeons des regards sceptiques – et certains roulent même des yeux.

L’un des patients du Dr Okoth attend avec sa mère.
 Le Dr Okoth consulte son application Paediatrics Protocols.
 Le Dr Okoth sur le terrain de stationnement des ambulances. Les patients parcourent souvent de longues distances pour recevoir un traitement. À l’avenir, les patients se rendront probablement des cliniques communautaires vers des hôpitaux centraux toujours plus vastes.

Dans un petit bureau, un technicien nous explique que toutes les informations des patients de l’hôpital sont au format électronique. L’admission d’un patient déclenche l’ouverture d’un dossier électronique enregistrant les biodonnées, les antécédents médicaux et les maladies en cours du patient, notamment ses symptômes, ses notes de consultation, ses résultats d’analyse et d’imagerie médicale.

Le dossier électronique reste à disposition pendant les visites suivantes – sur les ordinateurs de bureau de notre service – et peut être facilement communiqué aux spécialistes. Tous les médecins s’accordaient à dire que cela améliorait la continuité des soins et résolvait le problème des dossiers manquants. La seule critique que j’ai entendue de temps à autre pendant cette année où j’ai travaillé là-bas venait de certains médecins qui prétendaient écrire plus vite qu’ils ne tapaient sur un clavier et pensaient que le système les ralentissait (Et non, les médecins kenyans, comme leurs confrères ailleurs dans le monde, n’ont pas la réputation de bien écrire). Cependant, pour les médecins du millénaire que nous sommes, ayant grandi avec les smartphones, les jeux vidéo et les paiements mobiles M-Pesa, il était facile de s’adapter au système numérique. Mais aujourd’hui que nous avons quitté ce petit hôpital missionnaire, nous devons attendre l’ajustement des budgets pour un système et une numérisation de grande envergure. 

Pour Mediclinic International, qui est basée en Afrique du Sud, mais gère également des hôpitaux privés en Namibie, en Suisse et aux Émirats arabes unis, la gestion des données scientifiques et des informations joue un rôle central pour lutter contre la pandémie de Covid-19, en ce qu’elle aide à prévoir les pics de cas, et les besoins en équipements cruciaux, tels que les respirateurs.

« Chaque mois que vous attendez pour passer au numérique, c’est au moins deux mois de retard que vous prenez avant d’en voir les bénéfices », constate Jani Pretorius, data scientist chez Mediclinic. « En effet, l’IA se base toujours sur des données historiques pour faire des prévisions. Vous devez payer deux fois plus si vous arrivez tard à la fête. » La carrière de Slim Said a commencé par un doctorat en pharmacie. « Toute interaction médicale est un point de données », déclare Slim Said, maintenant Chef de projet IA chez InstaDeep.

Il suggère qu’une future version de l’application Paediatrics Protocols, enrichie par l’IA, pourrait intégrer des dossiers médicaux électroniques anonymisés pour aider les médecins à prendre en compte l’historique médical et les facteurs environnementaux, génétiques, épidémiologiques et comportementaux propres au patient. « Les patients réagissent différemment aux traitements, selon leur ADN, leur régime alimentaire, leur environnement, leurs habitudes et leurs antécédents médicaux. Et un système d’IA traitant des points de données anonymisées provenant de nombreux patients et médecins peut établir des corrélations entre ces facteurs et l’efficacité des médicaments. Enfin, il sera capable de tirer le meilleur parti des données pour proposer un traitement optimal à chaque patient. »

To be continued: Next, Okoth looks at how simple AI tools are helping to save lives in Nigeria.

A propos l'auteur : Dr. Marlene Okoth is a general practitioner based at Kenya’s Nakuru Level 6 County Hospital, northwest of Nairobi. She shares her passion for science through her medical writing.

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